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Témoignages des enfants de Marie Claude et Dominique Gueret

Que de bouleversements depuis ce dimanche 28 juin 1998!
On se souvient de cette ambiance particulière, de maman restée au lit, d’un médecin de garde venu l’ausculter et nous dire qu’une ambulance viendra, après le déjeuner, pour la conduire aux urgences. Quelques images restent : les volets du salon restés fermés, l’impossibilité pour maman de s’habiller toute seule, de manger son melon, maman parlait peu mais ne paraissait pas inquiète.
Avec notre regard d’enfant (12 ans) ou d’adolescent (17 et 18 ans), nous voyions bien que quelque chose n’allait pas, nous étions un peu inquiets, mais, à ce moment, personne n’avait conscience de l’urgence d’intervention. En effet, arrivée au CHU d’Angers, la paralysie du côté droit était visible et sa parole se résumait à quelques sons. C’est le regard et les expressions de nos tatas, pleines de compassion, qui nous ont fait prendre conscience que ce qui se passait était important. Son regard était plutôt vague, nous ne savions pas si elle comprenait ce que nous lui disions. Il était probable qu’elle ne puisse plus s’exprimer comme avant. Les émotions s’entremêlaient. Un mélange de peur, d’inconnu et de tristesse. Tristesse de laisser notre maman seule à l’hôpital, de la voir impuissante. Tristesse aussi pour notre papa, qui, bien que n’en laissant rien paraître, devait être inquiet pour elle. Mais aussi d’espoir : on se disait que « peut-être ça ira mieux dans 3 semaines », puis « dans 3 mois » ou que « dans 3 ans ce sera fini, elle reprendra son travail »
C’est l’été et la fameuse COUPE DU MONDE de football bat son plein. Nos activités se poursuivent entre jobs d’été, vacances chez les uns chez les
Autres et bien sûr aller-retour à l’hôpital puis aux Capucins. NOTRE FORCE = NOTRE FAMILLE. Papa assure à la maison ainsi qu’auprès de maman, et les tatas sont toujours disponibles. Nous nous disons que maman est entre de bonnes mains, d’autant plus que le CHU est un peu familier pour tout le monde : en tant qu’infirmière, maman et quelques tatas y ont travaillé. Étape suivante :

Le retour à la maison 2 mois après I’AVC. La parole n’est pas revenue, maman sourit souvent mais la communication ne semble pas facile : comprend-elle bien tout ce que nous disons ? Que veut-elle exprimer ?
Comment accompagner sa maman, que nous avons toujours connue disponible et active et que nous sentons maintenant si fragile ? Nous sentons que l’acceptation de la situation pour elle, la perte de son autonomie, de ce qui paraissait faire aussi sa personnalité, est extrêmement difficile.
Certains de ses proches s’éloignent, par peur sûrement, d’autres se rapprochent. Mais que pouvons-nous faire concrètement ? Chacun fait comme il peut. Nous avons, tous les trois, vécus
Ccette période de manière différente. Grégory et Elise étaient étudiants sur Angers la semaine, quant à Mélanie. Collégienne, elle était témoin au quotidien des difficultés rencontrées par maman pour affronter cette épreuve, et, peu à peu. Accepter sa nouvelle vie.
Les mois et années qui suivirent l’AVC nous parurent riches en améliorations, lentes certes, mais certaines. L’utilisation de bloc-notes ou d’ardoises, pour écrire les mots qui ne parviennent pas à sortir. Nous devenons de plus en plus familières. Nous nous sentons agacés parfois lorsqu’elle n’arrive pas à trouver ses mots, il nous arrive de perdre patience. Alors on culpabilise et on essaie d’être plus attentif, de mieux l’accompagner. Il nous arrive aussi d’être énervés face à tant d’injustice (pourquoi ça lui arrive à elle ?), tristes parfois, de la voir déprimée ou désolée de cette nouvelle situation. Mais on essaie de garder le sourire, sûrement aussi une « obligation inconsciente » de rester joyeux, optimistes, encourageants pour l’aider à remonter la pente. Nous apprenons à prendre notre temps au téléphone. Ne pas trop essayer de parler ou chercher les mots à sa place. Pour que les choses viennent d’elles-mêmes. Et cela fonctionne. Puis maman retrouve de l’autonomie en conduisant de nouveau et redevient hyper forte en couture et travaux pratiques. La confiance revient. Elle nous fait des cadeaux divers confectionnés de ses mains, des montages photos. Et agrémente les emails d’illustrations.
Aujourd’hui. 18 ans après, même si elle aurait aimé continuer à être une maman « valide », « comme avant » elle nous montre, en tant qu’aphasique, une maman battante, patiente, attentionnée, généreuse… c’est un très bel exemple qu’elle nous offre. Nous sommes admiratifs de son courage et de sa persévérance. Elle nous a appris à nous écouter davantage et à prendre soin des uns et des autres.
Au quotidien, chacun a repris sa place dans la famille et nous oublions « presque » son handicap, car inconsciemment, au fond de nous. Nous cherchons toujours à la protéger. Parfois nous avons encore de la peine, c’est encore difficile à accepter qu’elle ne puisse pas être aussi indépendante qu’elle le voudrait. C’est difficile pour elle de se sentir « comme un oiseau en cage » comme elle le dit si bien. Nous ne le souhaitons à personne. Mais nous sommes aussi contents qu’elle ait su être si forte, qu’elle n’ait pas perdu espoir et qu’elle essaie de vivre sa vie, au jour le jour, avec sagesse. Et elle est douée pour ça.
Ses petits enfants de 6 et 3 ans, Robin et Arthur, passent beaucoup de temps avec leur mamie à jouer aux jeux de société, aux voitures, à écouter des histoires sur la tablette, faire de la couture, du bricolage et déguster ses bons petits plats et ses confitures. Pour eux. Mamie est toujours de bonne humeur, disponible.
Cet « accident de la vie » a conforté notre éducation et nos valeurs familiales dans le fait de ne pas avoir peur ni du handicap ni des différences.
Nous sommes très fiers d’être ses enfants et nous sommes tous les 3 d’accord pour dire que l’aphasie nous a fait prendre conscience de l’importance du soutien et de l’écoute